chant V - L'antre de Calypso -

"Nu allongé les jambes écartées" par Egon Schiele (1914)
Brigitte Bardot et Michel Picoli sur une musique de Georges Delerue
dans "le Mépris"un film de Jean-Luc Godard (1963)

 

Calypso, la nymphe aux beaux cheveux, la terrible déesse, en son île océane. Ah! là-bas il avait tout le confort d'un dieu. Jour après jour, c'était pareil. Ils faisaient l'amour par terre, sur la table, puis à nouveau dans le bain avec les servantes qui versaient de l'eau chaude. Et chaque fois, après l'amour le même rituel.

Mais bientôt fatalement, ces routines ne devinrent plus que cela: des routines; l'ennui s'installa. Et Ulysse passe toutes ses journées près de la rive et se fatigue les yeux à tenter de repérer une voile à l'horizon.

Sept ans, jusqu'à ce qu'un jour, Calypso, convaincue par Hermès, l'envoyé de Zeus, accepte de laisser partir Ulysse.

 

— Ulysse, Fils de Laërte, fit alors Calypso, te voilà donc prêt à partir. Malgré ta dureté, je te souhaite les bons vents de Borée, mais si tu savais les maux que tu auras à souffrir dans ce retour, tu choisirais assurément de demeurer avec moi, et tu préférerais à tant de vains travaux ce que je t'offre, quelque impatience que tu aies de revoir ton épouse. Du moins tu l'affirmes, avec une conviction qui déconcerte. Sans doute ne me vaut-elle ni en beauté, ni en esprit, mais les dieux te dispensent de me l'avouer, car il en coûte toujours aux époux de dénoncer aux autres femmes le peu d'émoi qu'ils éprouvent au commerce de la leur. En toutes circonstances, ils défendent les membres de leur famille, quel que puisse être le gouffre de leur disgrâce, et la faiblesse de leurs raisons. Il faut donc honorer ce sentiment, car, par ce plaisant jeu, chaque famille devient en quelque sorte un objet de notre respect. Je vais te donner de quoi bâtir un nouveau vaisseau et il n'y manquera rien. Tu iras ensuite rejoindre ta beauté conjugale qui, à cette heure, doit vieillir sur son métier.

 

Le soleil à ce moment se coucha dans l'onde, et les ténèbres se répandirent sur la terre. Calypso et le héros de la guerre de Troie se retirèrent dans la grotte, où ils reposèrent côte à côte ; dans les bras l'un de l'autre, ils oublièrent les chagrins qui les animaient et se noyèrent dans d'ultimes délices.

Quand le vaisseau fut prêt, Calypso baigna encore le divin Ulysse, le vêtit d'habits magnifiques et lui souhaita un vent favorable. Quand elle l'eut vu plein de joie déployer ses voiles, puis regarder au ciel la Grande Ourse et le Bouvier, elle rentra dans sa grotte, remplie d'étonnement de l'ingratitude des hommes. Mais, la nuit, terrassée par la grandeur glacée de ce départ, elle alla, entre les bras d'une nymphe, exhaler sa tristesse au bord d'une fontaine, et les eaux se mêlaient à ses larmes, en un long ruissellement d'argent, aussi doux que les tresses de sa chevelure désolée. Dans les ténèbres elle appelait le nom de l'absent. Puis elle pleura en un long chant plaintif. Puis elle pleura encore, jusqu'à l'aube. Quand les vagues de la mer lui eurent rapporté dans leur sillage les derniers bruits du vaisseau disparu, elle s'endormit enfin.