(Art Moutain, janvier 2000)

ALASKA WAY 1çç3

Loin d'une interactivité rigide qui propose via menu et multiples boutons un parcours statique dans un choix de possibles déjà constitués, existe-t-il une alternative où le cheminement ressemblerait d'avantage à une composition temporaire, actualisation chaque fois différente conciliant l'actif et le passif, réconciliant l'acteur et le spectateur ?

Jérôme MAYER et Aymeric REUMAUX nous encouragent et ouvrent une brèche avec la version 2 de leur CD-ROM, Alaska Way 1çç3, carnet de route synthétique et puissant.
Invitation au voyage.

Au travers de ce premier travail, les auteurs nous invitent à visiter leur espace-temps recomposé, véhicule vivant de la mémoire et de l'histoire, carnet de voyage à feuilleter et méditer où les médias se croisent, se chevauchent, se superposent.

Film, photos, dessins, objets trouvés, mots rêvés (échangés ?) sont les témoins agités des paysages traversés, visions plastiques, rencontres, doutes, questionnements.

Le voyage durera le temps d'un film (12 minutes 35 secondes) créateur de continuité et d'urgence (un compteur à rebours est là pour nous rappeler l'échéance proche) dans un pays que l'on traverse à 120 puis 200 Km/h, toujours plus vite. Tel un brise-glace, il avance à travers les éléments, dans un océan tourmenté d'images, de paysages, de rencontres, tantôt calme, tantôt chahuté lorsque des vagues d'objets (de vagues objets ?) viennent frapper la coque.

Mais cette fois, pour le spectateur (spect-acteur), la navigation prend un sens nouveau; il ne s'agit pas de devenir pilote à la place du pilote pour changer de cap à loisir (de toutes les façons je ne vous le conseillerais pas, la voiture roule trop vite !) mais plutôt alors de s'installer dans le fauteuil de passager, regardant tantôt à gauche, tantôt à droite ou devant, libre de monter sur le pont ou de descendre à fond de cale pour mieux s'oublier. Les artistes ne nous proposent pas seulement de nous raconter son voyage, mais aussi de nous faire voyager.

Et on avance, sur la route puis sur l'eau, puis sur la route à nouveau, en urgence, en quête de quête, à la recherche d'un point d'amnésie, noyau dur d'un nouveau départ, d'un voyage dans le voyage, encore plus loin. Qui sont les fantoches Frankenstein et Aznavour tombés du ciel ? et d'où sort Faye Dunaway ? émergence d'une série TV aperçue depuis un motel au cours d'une halte imposée, rencontre furtive ou irruption inconsciente d'une enfance solitaire ?

Sur ce vaisseau en excès de vitesse, chaque passager aménage sa cabine d'équipage, compose son propre voyage, instaure sa propre temporalité (le rythme de lecture des carnets met le rythme du film en correspondance). La lecture se rapproche du travail d'écriture. Pari réussi, Jérôme MAYER et Aymeric REUMAUX nous emmènent tour à tour dans leur voiture, mais personne n'aura vu le même paysage et chaque fois l'expérience est différente.
Bon voyage à chacun.

 

B. Arowana
Art Moutain, janvier 2000